Immersion : les soins intensifs pédiatriques à l’HUDERF

      Le service communication de l’HUDERF part à la rencontre d’acteurs de terrain. Portraits croisés à l’Unité de Soins Intensifs.

Agatha, Antoni, Nathalie et Séverine sont infirmiers/ères au sein de l’Unité de Soins Intensifs (USI) de l’HUDERF. Ils travaillent dans une unité de pointe, où l’état de santé des patients requiert une surveillance intensive et un matériel sophistiqué pour pourvoir au remplacement des organes défaillants : poumons, cœur, rein. Différentes machines ventilent, soutiennent le cœur ou dialysent ; et les paramètres vitaux des patients enregistrés en temps réels s’affichent sur les écrans dispersés aux postes clés de l’unité de 1700 m². Parfois une alarme sonne, discrètement, troublant à peine le calme qui règne dans l’unité. Mes collègues scrutent les écrans, échangent quelques mots et l’un d’eux se rend au chevet de l’enfant, les autres se dispersent dans l’unité. Au fil du couloir qui sépare le ‘desk’ des chambres des patients, je fais connaissance avec les autres membres de l’équipe qui sont présents aujourd’hui. Annette est puéricultrice. Elle prend les appels et redispatche les demandes des unités, avec un œil sur le tableau reprenant tous les patients actuellement admis dans l’unité. Dans sa fonction qui s’apparente à du secrétariat médical, elle soulage ses collègues en apportant une aide administrative, en passant les commandes, en gérant les repas… Elle aime avoir cette valeur ajoutée et elle se sent impliquée dans le fonctionnement de l’unité. Anissa et Selbi, les assistantes logistiques sont en train de réapprovisionner les chariots des infirmières alors que Veva, puéricultrice, dispose les médicaments dans les armoires dédiées, de façon à ce que dans l’urgence, tout soit à portée de main immédiatement. Elles me tiennent le même discours. Je croise Hassan et Abdel, les ‘gars de l’entretien’, qui nettoient la chambre d’un enfant et échangent quelques mots gentils avec le parent, avant de sortir discrètement. Au bout du couloir, je m’attarde devant une chambre où Violette, infirmière, s’affaire autour d’une patiente avec la maman, attentive aux gestes de l’infirmière qui prépare tout ce dont elles auront besoin pour la toilette. Tout est prêt, un sourire à la jeune fille avant de mettre un écran devant le lit pour préserver son intimité et de laisser la mère et la fille partager ce moment. Elle s’installe au bureau attenant à la chambre et consigne dans le dossier informatique les soins et les médicaments administrés à la patiente il y a quelques minutes pour assurer le suivi de toute l’équipe. Un acte administratif qui éloigne l’infirmière du chevet du patient, mais ces quelques instants permettent d’assurer la continuité et la sécurité des soins, et cela rassure aussi les parents. Un peu plus loin, les médecins font « le tour » avec Séverine, l’infirmière chef : c’est l’heure de faire le point sur l’état de santé de chaque enfant, la petite équipe passe de chambre en chambre, poussant le chariot informatique d’où ils ont accès au dossier de l’enfant, mis à jour au fur et à mesure, en temps réel. Les « PG » et les résidents échangent, c’est aussi un lieu d’apprentissage pour les médecins en formation, qui viennent ici s’imprégner de la technicité des actes médicaux et de la spécificité des pathologies rencontrées. Ils sont concentrés, je ne les dérange pas. A l’autre bout de l’unité, une maman porte dans ses bras un bébé dont la poitrine et le bras ont été brûlés. Un accident domestique avec une théière bouillante. L’équipe qui va s’occuper de soigner les plaies vient préparer l’enfant : une sédation et une analgésie vont aider pour les soins de tout à l’heure, sans éprouver de douleur ou de peur. On augmente la température de la salle pour que l’enfant n’ait pas froid pendant son bain et ensuite chacun revêt une blouse, un masque et une calotte. Le bébé est installé, la maman part prendre un peu de repos. Fabienne, la kiné, est dans la chambre d’à côté pour faire faire sa ‘gym’ à un enfant. Quand ils sont alités longtemps, les enfants perdent en muscle, et la rééducation peut être longue. Mais le mouvement permet de récupérer plus vite. Elle viendra aussi dans la salle de soins pour mobiliser les membres brûlés afin d’éviter l’ankylose liée à la cicatrisation.

Ici, tout peut changer très vite

L’équipe qui travaille dans cette unité a spécialement été formée aux soins intensifs pédiatriques et veille sur ses patients 24h sur 24, 7 jours sur 7, en collaboration avec les autres services de l’Hôpital des Enfants. Ils sont médecins, infirmiers, psychologues, assistantes sociales, assistantes logistiques, agents d’entretien, secrétaires, kinés, puéricultrices… Et tous travaillent de concert pour donner les meilleures chances à des enfants bien souvent gravement malades et leur offrir un environnement de soins de qualité. Dans cette unité, chaque jour est différent de la veille, et on ne sait pas de ce quoi sera fait demain. Aujourd’hui, c’est calme, mais on me le dit plusieurs fois : ici, tout peut changer très vite. Dr Shancy Rooze précise : pas le temps de tergiverser, la réactivité est vitale. Les gestes sont précis, les procédures sont claires. « La facilité de prendre de la distance tout en restant empathique vient avec l’expérience ou avec la personnalité de chacun », m’explique-t-elle au détour de notre conversation. Garder une position ‘méta’ permet de mettre de côté l’intensité de ses émotions au chevet du patient : un enfant qui a priori devrait encore avoir toute sa vie devant lui.

Quand un patient entre à l’USI, c’est une famille qu’on accueille, même dans les situations les plus graves et les plus stressantes

Ici comme partout dans l’Hôpital des Enfants, tout le monde en est persuadé : on ne soigne pas un enfant comme un adulte. « Rien à voir avec des soins intensifs pour des adultes. Les pathologies sont différentes, la prise en charge est différente », m’explique-t-on. Depuis des années, l’USI de l’HUDERF est une référence dans la prise en compte des parents dans les soins. Quand un patient entre à l’USI, c’est une famille qu’on accueille, même dans les situations les plus graves et les plus stressantes. L’unité a donc tout pensé sur ce principe : l’architecture, les chambres parents-enfants, l’accueil, des espaces de repos et de partage avec d’autres parents… Les parents sont bienvenus 24h/24 dans l’unité, ils vivent une période très stressante. Et pouvoir partager leur vécu avec d’autres parents, prendre du recul est important, car ils assistent parfois à des interventions très lourdes. L’unité a mis un point d’honneur à les faire participer aux soins de leur enfant. Nourrir son enfant, le laver sont autant de gestes qui permettent de garder un semblant de normalité… Et s’ils restent plus longtemps, ils apprennent à poser certains gestes médicaux. « L’aspect relationnel avec les parents est primordial. D’une part pour lui permettre de participer et donc de se sentir moins impuissants face à la maladie et à la mort », explique Dr Dominique Biarent, chef des soins intensifs. Au-delà des gestes techniques et des soins, une grosse partie du métier est consacrée au dialogue. Informer, répondre aux questions. Et aussi soutenir, pour qu’ils puissent tenir le coup et appuyer le travail des équipes en soutenant le moral de l’enfant. « Pour contrôler leurs émotions, ils ont besoin d’informations. » Et toute la famille, frères et sœurs, grands-parents ont le loisir de venir parler à l’équipe de tout ce qui les préoccupe. J’en discute avec Elodie, une des psychologues de l’équipe, qui m’explique que la première fois qu’ils viennent, les frères et sœurs sont préparés à ce qu’ils vont voir : que savent-ils ? C’est quoi l’USI ? Qu’est-ce qu’ils s’imaginent ? Les enfants perçoivent les choses différemment des adultes. Ils vont s’attarder sur les détails qui nous échappent parfois, nous les adultes. Pour éviter de les perturber davantage, on évite de passer devant d’autres enfants, et on limite les visites quand ils commencent à s’agiter. Pour le patient qui reste, le travail des psychologues est alors d’expliquer les raisons pour lesquelles eux doivent rester à l’hôpital et accompagner psychologiquement l’enfant par rapport à son état.

Dessins : Quentin Gréban

 

 

On vit sa vie plus intensément, on va plus volontiers à l’essentiel

« Voir l’enfant souffrir est difficile pour les parents. Ça l’est aussi pour nous. » C’est pourquoi la prise en charge de la douleur est un autre point d’attention particulier. Chacun y veille dès qu’un acte est posé. « Et cette proximité, ce souci commun de vouloir le meilleur pour un enfant fait qu’on s’attache. On sourit, on pleure avec eux. C’est intense. Nous aussi, nous avons parfois besoin d’un soutien psychologique. Nous parlons des situations difficiles et des décès avec les membres de l’équipe pédopsychiatrique, et nous discutons souvent entre collègues. » Les témoignages se recoupent : ici on vit sa vie plus intensément, on va plus volontiers à l’essentiel car on voit tous les jours que la vie ne tient qu’à un fil. L’équipe de Séverine, l’infirmière chef, a choisi expressément des shifts de 12h, pour pouvoir assurer un suivi des soins optimal, mais aussi préserver une vie personnelle avec des plages de repos plus longues. On ne travaille par exemple qu’un week-end sur trois en tant qu’infirmière, ce qui est rare dans le métier. Pour travailler au sein de cette unité, on vient parfois de loin, comme l’explique Antoni. Et l’équipe a le ‘luxe’ de pouvoir sélectionner les meilleurs, tant la spécificité de cette unité est attractive. Chaque année, de nombreux étudiants issus de plusieurs écoles viennent en stage à l’USI. Certains restent à l’HUDERF. On me parle de bonne ambiance, d’entraide, de deuxième famille. La plus ancienne de l’équipe a 62 ans et continue avec la même passion. Bien au-delà des clichés des infirmières usées par la profession qu’on laisse parfois entendre donc. Etre aux petits soins pour ces patients et ces familles est valorisant, riche humainement, tous les métiers de l’unité s’accordent. Pouvoir exercer un métier avec des actes techniques, dans un environnement pédiatrique, spécifiquement dans cet hôpital est considéré comme une chance. Non tout n’est pas rose et les différences de réalité entre unités rendent la collaboration parfois difficile. Le dialogue est important et l’intérêt de l’enfant prime. Ces collègues de l’USI aiment l’adrénaline, la technicité et l’environnement pédiatrique. Ils ont contribué à construire l’unité de pointe qu’on connaît aujourd’hui, et continuent à en faire un lieu de vie tous les jours, pour les patients et pour leurs parents. Tous espèrent que leur santé leur permettra de suivre le rythme de ce métier exigeant, car ils n’en changeraient pour rien au monde. Certains explorent le métier en complétant leur formation d’un master en santé publique. « Pour la suite éventuellement, mais surtout pour maintenir le niveau au top aujourd’hui encore. »

En une matinée au sein de l’unité des soins intensifs de l’HUDERF, j’ai croisé des hommes et des femmes bien plus passionnés que frustrés. L’unité est intensive mais ils sont loin d’être épuisés.

MR.